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Le dossier FD45 "Emplois"
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Notre
société produit à la
fois des surplus et des
exclus
Ceci conduit à un gaspillage de
ressources matérielles et de
ressources humaines. Le gisement de
déchets représente-t-il une
"mine pour l'emploi"? De tout temps, des
populations marginalisées ont
récupéré tout ce qui
pouvait l'être. L'élimination
a petit à petit supplanté la
récupération. Les usines
d'incinération sont entrées
en concurrence avec les chineurs. Les
emplois se sont pourtant multipliés
dans le secteur des déchets et la
Confédération décerne
depuis peu un CFC de recycleur.
Durant tout le MoyenAge, les citadins
jettent leurs détritus dans les
rues. Ceci constitue une alimentation
gratuite pour la basse-cour, les porcs,
les chiens, etc. La valeur fertilisante de
ces gadoues urbaines intéresse
notamment les maraîchers, et le
droit de les ramasser doit s'acheter. Sous
Louis XIV, Paris acquiert des tombereaux
pour le ramassage des déchets et
engage des équipes de "jailloux",
composées "d'hommes-tombeliers" et
de "femmes-balayeuses".
Les métiers de rue font vivre ou
survivre des milliers de personnes dans
les grandes cités. Chroniqueur
anglais, Henri Mayhew raconte Londres au
XIXe siècle. "Parmi eux, on trouve
des ramasseurs de chiffons, d'os, de
crottes de chiens (les "pure-finders"), de
mégots de cigare, ceux qui
cherchent dans les caniveaux, les
égouts, les ruisseaux, etc.
D'autres personnes sont employées
par les paroisses, et surtout par les
Compagnies privées qui travaillent
pour elles, pour l'enlèvement des
ordures et le nettoiement des rues. Ces
Compagnies sont de petite taille; elles
emploient tout au plus une trentaine de
personnes, dont les indigents
désignés par les paroisses.
Vers 1840, environ1500 personnes sont
ainsi employées dans la
métropole londonienne, dont
près de 400 au dépôt
d'ordures; il s'agit là surtout de
femmes qui criblent les cendres provenant
des foyers pour en récupérer
les imbrûlés."
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Les
déchets et le chômage
constituent un double
gaspillage
Gérard Bertolini est
économiste et spécialiste en
rudologie (la science des déchets).
Dans "Déchets, mode d'emploi"1, il
analyse le marché de l'emploi dans
le secteur des déchets. "Le
système de production et de
consommation génère des
déchets, le système du
travail et le marché de l'emploi
comportent des exclus, notamment les
chômeurs. Le système les
rejette, les expulse, les "externalise",
les "élimine". Eliminer, dans son
sens étymologique, c'est "pousser
hors du seuil". "Dehors! Du balai! A la
porte! Il a été mis à
la porte, il s'est fait jeter!", dit-on en
langage populaire."
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Bader,
Birchler, vanniers et autres
manouches
Si la récupération est
laissée aux exclus, elle a toujours
été aussi un mode
d'intégration sociale et
économique. Les marginaux qui l'ont
exercée se sont souvent
sédentarisés et on peut
constater qu'elle a conduit certains
à la création d'entreprises
florissantes (groupe Barec, Cablofer,
Jaeger & Bosshard, ...).
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Gottfried
et son fils Joseph Bader
occupés à
la déconstruction
d'une turbine hors
d'usage provenant d'une
usine électrique
fribourgeoise. Le
décor est celui
de la gravière de
Romont en
été 1961.
Les familles Bader et
Birchler ont
essaimé: 23
entreprises de
récupération
dans les cantons de
Vaud, Valais,
Neuchâtel et
Fribourg.
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Qui pénètre le monde de
la récupération ne peut
qu'être frappé de trouver des
Birchler et des Bader aux quatre coins de
la Suisse romande. L'annuaire du
téléphone permet
d'identifier douze Bader et onze Birchler,
tous ferrailleurs, chiffonniers ou
propriétaires d'une "casse
automobile". Descendants de familles
manouches ou yenisch, tous ou presque ont
des liens de parenté. Leurs
ancêtres étaient des gens du
voyage qui confectionnaient et vendaient
dans les fermes des paniers en osier et
rachetaient vieux chiffons, papier,
ferraille, peaux de lapins, vieux os, etc.
Ils visitaient aussi les "ruclons" et y
trouvaient parfois des trésors.
Ceux qui ont poursuivi dans le secteur
de la récupération se sont
attaqués à des objets de
plus en plus gros: tramways, locomotives,
ponts métalliques.
Parallèlement, les autres
matières ont pratiquement perdu
toute valeur et l'on a commencé
à clôturer les
décharges et les usines
d'incinération.
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Croissance
de l'emploi supérieure à
d'autres secteurs
Tandis que les emplois du secteur
tertiaire augmentaient de 2,3% entre 1991
et 2001, la Statistique suisse de l'emploi
(STATEM) montre que les activités
du domaine assainissement, voirie et
gestion des déchets (division NOGA
90) ontvu le nombre de leurscollaborateurs
s'accroître de près de
50%.
L'Office fédéral de la
statistique a tenté en 1998
d'évaluer les emplois, le chiffre
d'affaires et les investissements du
secteur éco-industriel. Cette
étude2 a dénombré
15'138 emplois dans les activités
"entièrement
éco-industrielles", auxquels
viennent s'ajouter des emplois
"cachés" parmi les autres secteurs
d'activité, portant le total
à 50'000 environ. Par rapport aux
résultats d'une enquête
menée en 1990, l'emploi
éco-industriel aurait triplé
et le chiffre d'affaires doublé
dans l'intervalle. Pour ce qui concerne le
cur entièrement
éco-industriel, les emplois
auraient largement diminué dans le
commerce de gros de déchets et de
débris tandis qu'ils auraient
augmenté d'un quart dans la
récupération et la
préparation au recyclage (de 1995
à 1998) et de plus d'un tiers dans
l'assainissement, la voirie et la gestion
des déchets (de 1991 à
1998).
Gérard Bertolini fait quant
à lui un autre constat en France,
sur la période 1986-1993: le nombre
d'entreprises actives dans le secteur de
la récupération est
passé de 5'600 à 3'761 et
les emplois de 26'424 à 24'092. Il
relève aussi qu'il en va de
même des activités de
réparation: cordonniers, ateliers
électromécaniques,
horlogers, etc.
Des déchets
à un sou
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"Une boîte
à sardines! Qui
songerait à tirer
parti de cela? Mais, les
fabricants de joujoux
à bon
marché. Comment
expliqueriez-vous
autrement qu'on vend
dans les bazars, pour un
sou, une locomotive
minuscule, un cheval
cabré, et nombre
d'animaux
coloriés de
frais?
C'est grâce
à la boîte
de conserves qu'on
réalise ces
merveilles. Les
marchands en
expédient des
wagons entiers. On
commence par les
débarrasser de
l'odeur en les jetant
par centaines dans un
grand feu. Armés
de longues piques, des
ouvriers remuent l'amas
incandescent.
Lorsqu'elles sont
refroidies, les
boîtes ont perdu
leur odeur
désagréable
et sont propres. Il ne
reste plus qu'à
découper, dans le
fond et dans les parois,
les différentes
pièces qui,
assemblées,
formeront le jouet
à un sou."
G. Renault, fin du
XIXe siècle,
cité par
Gérard Bertolini
qui précise que
l'invention des
boîtes
agrafées (sans
soudure à
l'étain) a
conduit à la
disparition de ces
artisans
géniaux.
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L'économie
"sociale et solidaire" en plein
essor
A l'occasion d'un colloque
intitulé "Développement
économique et gestion des
déchets: un nouvel élan pour
l'emploi"2 qui s'est tenu à Paris
en juin 2000, le président du
Groupe d'études sur les
déchets industriels, agricoles et
ménagers de l'Assemblée
nationale, Jean-Paul Mariot, concluait
ainsi son discours inaugural: "Le secteur
des déchets peut offrir un
pourcentage important d'emplois peu
qualifiés, qui constituent un moyen
judicieux de réinsérer les
personnes en difficulté dans la vie
active."
Ces propos sont proches des
observations de M.-A. Chevallier dans sa
"Notice sur le nettoiement de la ville de
Paris" (1849), qui préconisait de
régler le problème des
déchets en choisissant quelques
pauvres à la charge des habitants.
"On leur donnerait une petite charrette,
traînée par un âne ou
un mauvais cheval, et on leur ordonnerait
de parcourir sans cesse, pendant les jours
ouvrables, la commune et ses abords,
enlevant, à l'aide de la pelle et
du balai, toutes les immondices qui s'y
trouveraient."
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Cette "usine"
chinoise a
créé de
nombreux emplois en
important pour les trier
des déchets
métalliques en
provenance d'Europe et
d'Amérique du
Nord. Les salaires de
ces ouvrières
sont si bas qu'ils
disqualifient les
technologies de
séparation les
plus modernes. Source:
Recyclage
Récupération
No 43, novembre
2001.
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Les Compagnons d'Emmaüs ont fait
des émules depuis leur
création par l'abbé Pierre
et la France dispose au jourd'hui d'un
Secrétariat d'Etat à
l'Economie solidaire, responsable des
mesures telles que les "emplois jeunes".
Les initiatives y sont nombreuses et
variées, dont par exemple:
- projet "Cocotte pour l'emploi"
(collecte des papiers de bureau
usagés);
- GESTE a formé 1'200 jeunes
"ambassadeurs du tri" pour sensibiliser
la population au tri
sélectif;
- Juratri Sàrl (70 emplois
dont 35 en insertion pour le tri fin
des collectes sélectives du
département du Jura);
- Regain-Ecoplast (70 salariés
dont deux tiers de postes en
réinsertion pour la
déconstruction de 12'000
appareils électroniques par
jour);
- "messagers du tri des
déchets de chantier" (10 emplois
jeunes chez Ecosita
Haute-Normandie).
Au total, l'Agence de l'Environnement
et de la Maîtrise de l'Energie a
recensé 91 entreprises d'insertion
dans le domaine de l'environnement et des
déchets, un secteur qui emploie
actuellement 100'000 personnes en
France.
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Du point
de vue de l'emploi, les choix
technologiques ne sont pas
neutres
Pour mettre en décharge 10'000
tonnes de déchets par an, un
machiniste et son trax suffisent.
L'incinération d'un même flux
occupe probablement six personnes. Le tri
manuel d'un tonnage équivalent de
déchets complexes fournit du
travail à une centaine de
personnes. Et le reconditionnement
(rénovation, réparation)
générerait peut-être
7'000 emplois qualifiés.
Dans leurs choix technologiques en
matière de gestion des
déchets et d'investissement, les
pouvoirs publics devraient tenir compte
des emplois directs créés,
mais aussi de ceux qui pourraient
être menacés.
François Marthaler
BIRD, Prilly
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Pour en savoir plus
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Réseau
territoires-environnement-emplois,
http://www.reseau-tee.net
"Déchets mode d'emploi"
Gérard Bertolini, coll.
Environnement et Ecologie industrielle,
Economica, Paris, 1996
"Le secteur éco-industriel en
Suisse - Estimation du nombre d'emplois et
du chiffre d'affaires en 1998", Ecosys
SA, OFS, Neuchâtel, 2000
"Développement
économique et gestion des
déchets: un nouvel élan pour
l'emploi", colloque du 7 juin 2000,
SITA France, Paris, 2000
CFC de recycleur/recycleuse
Office fédéral de la
formation professionnelle et de la
technologie, http://www.bbt.admin.ch
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