A mi-chemin entre les villages de Frasses et de Lully,
dans la Broye fribourgeoise, le paysage verdoyant
ressemble à un décor de carte postale.
C'est pourtant là que les ingénieurs
planifiant l'autoroute A1 vont tomber sur un "os" de
taille: terres fortement souillées par des
métaux lourds, cyanures, phénols,
solvants
Pas moins de quatre sites
contaminés vont être mis au jour,
nécessitant de coûteux travaux
d'assainissement.
Ce fait divers nous rappelle que nos erreurs du
passé finissent tôt ou tard par nous
rattraper. Vieilles décharges, dépôts
sauvages, rejets industriels, fuites de réservoirs
d'hydrocarbures et accidents sont autant de causes de
pollution du sous-sol. Une partie des zones ainsi
polluées présentent un danger pour la
santé humaine ou l'environnement. C'est en
particulier le cas lorsqu'elles menacent des nappes
phréatiques utilisées pour l'alimentation
en eau potable. Parfois même, on peut parler de
véritables "bombes à retardement". Exemple
célèbre : le cas Love Canal aux Etats-Unis,
où les autorités ont dû ordonner en
1979 des évacuations d'urgence, pour cause
d'empoisonnement des habitants. En fait, ce site
renfermait des déchets toxiques, enfouis depuis
quelques décennies.
Une facture
colossale
'après une estimation de l'Office
fédéral de l'environnement, des
forêts et du paysage (OFEFP), la Suisse compte 50
000 sites pollués (26 000 décharges, 23 000
aires industrielles et 1 000 lieux d'accidents). Parmi
eux, 3 000 environ sont considérés comme
des sites contaminés, c'est-à-dire qu'ils
présentent un réel danger pour
l'environnement. Ils devront donc être assainis ces
vingt-cinq prochaines années, pour un montant d'au
moins 5 milliards de francs. Paradoxalement, beaucoup de
ces "points noirs" ont été
créés "légalement", lorsque la
protection de l'environnement était encore peu
réglementée.
Pourquoi cela coûte-t-il si cher? Tout
simplement parce qu'il est difficile de localiser et
surtout traiter des polluants disséminés
dans le sous-sol. L'histoire de la tasse de café
l'illustre bien: il est aisé de mettre un morceau
de sucre dans une tasse, mais il est par contre beaucoup
plus ardu d'extraire le sucre une fois dissous dans le
café.
Faire le
ménage avec méthode
Devant l'ampleur du problème, le Conseil
fédéral promulguait en 1998 l'Ordonnance
sur les sites contaminés (OSites). Son but :
garantir l'assainissement des sites dangereux. A cette
fin, l'OSites définit la procédure de
gestion des sites pollués, qui peut se
résumer en trois mots: recenser,
sélectionner, traiter. Le processus de
sélection "étagé" fonctionne comme
un système de tamis superposés, dont les
mailles vont en se resserrant du haut vers le bas. Chaque
tamis correspond à un niveau de diagnostic
nécessitant des investigations de plus en plus
lourdes et coûteuses.
La Suisse veut
dresser l'inventaire de ses sites pollués
d'ici à fin 2003
Tout d'abord, les cantons doivent élaborer un
cadastre public des sites pollués d'ici au 31
décembre 2003. Il s'agit de recenser les
emplacements dont la pollution est établie ou
très probable, puis de les soumettre à une
première évaluation. On pourra ainsi les
classer en deux catégories:
sites sans risque pour l'environnement;
sites "douteux" (potentiellement
contaminés).
La
procédure "échelonnée" de
traitement des sites contaminés doit
permettre de réduire de manière
systématique les risques qu'ils
présentent pour l'environnement (source:
OFEFP).
Ces derniers devront alors être
examinés de manière plus poussée,
afin de décider s'il faut les assainir ou
simplement les surveiller (2ème phase de la
procédure). Pour cela, des sondages et des
prélèvements d'échantillons seront
en principe nécessaires.
Enfin, pour les sites qui s'avéreront
contaminés, une étude
détaillée devra être effectuée
pour préparer l'assainissement.
Les cantons
prennent le taureau par les cornes
Certains cantons alémaniques (Argovie, Soleure,
Zurich, ...) n'ont pas attendu l'OSites et ont
commencé leurs inventaires il y a une quinzaine
d'années déjà. Par ailleurs, le
canton de Berne s'est lancé dès 1992.
Le canton de Vaud a entrepris le recensement
systématique de ses décharges communales en
1995. Le bilan des investigations menées à
ce jour est le suivant : sur 700 décharges, 616
présentent un risque faible, 36 doivent être
surveillées, 10 doivent être assainies, 8
nécessitent des travaux lourds
d'aménagement (les cas restants sont actuellement
examinés). D'autre part, les Vaudois dressent
depuis une année l'inventaire de leurs sites
industriels pollués.
Mieux gérer les
matériaux d'excavation
|
Un cadre clair depuis 1999
Une directive fédérale sur les
matériaux d'excavation est entrée
en vigueur en juin 1999. Elle définit
enfin des règles claires permettant de
déterminer si des matériaux
d'excavation doivent être
considérés comme pollués ou
non. D'autre part, elle offre de nouvelles
possibilités pour valoriser les
matériaux non pollués.
Une meilleure gestion grâce au
Net
Valoriser au mieux et au plus proche les
matériaux "sains": tel est justement le
but de la bourse aux matériaux
d'excavation sur Internet,
créée grâce au soutien de
l'Etat de Vaud. Elle permet de mettre en
relation des offreurs et des demandeurs de
matériaux non pollués.
A la clé: de sérieuses
économies et un plus pour l'environnement
(moins de transports = moins de nuisances).
La publication d'annonces est gratuite sur le
canton de Vaud. A voir sur www.excavation.ch.
|
Pour sa part, le canton de Fribourg a commencé
son recensement en 1999. Une analyse systématique
des archives de l'Etat et des cartes topographiques a
permis de présélectionner plusieurs
milliers de sites, qui font maintenant l'objet de
recherches complémentaires (notamment
auprès des communes). Les cas retenus à
l'issue de ces enquêtes feront l'objet d'une
analyse de danger, afin de déterminer s'ils sont
potentiellement contaminés.
Après un test pilote sur 4 communes en
1998-1999, le canton du Valais s'est lancé dans
l'élaboration de son cadastre l'année
dernière. Les autorités estiment que 1 000
sites valaisans environ sont potentiellement
contaminés.
Enfin, les cantons de Genève, Neuchâtel
et Jura vont démarrer leurs inventaires au
début de cet été (ces travaux seront
confiés à des bureaux
spécialisés, comme dans les autres
cantons). A noter que les Genevois envisagent de
permettre la consultation du futur cadastre sur
Internet.
Plusieurs
méthodes d'assainissement
possibles
Il existe trois grandes familles de techniques de
dépollution:
les traitements hors site: les terres
polluées sont excavées et
évacuées vers un centre de traitement
(incinération, décharge
contrôlée, lavage, ...);
les traitements sur site sans excavation: le
sol ou les eaux polluées sont traités sur
place (biodécontamination, lessivage, ...);
les traitements sur site avec excavation des
terres (compostage, lavage, ...), à l'aide
d'équipements mobiles.
Mais dans certains cas, l'assainissement peut se
limiter à un confinement, qui consiste à
isoler la pollution par des barrières
étanches. Signalons que l'OFEFP et l'Association
suisse de déconstruction, triage et recyclage
(ASR) ont élaboré une base de
données informatisée (IUVA), qui regroupe
notamment les technologies d'assainissement disponibles
sur le marché.
L'établissement du cadastre est financé
par les cantons. Par contre, les expertises
nécessaires pour déterminer si un site doit
être assaini, ainsi que les travaux
ultérieurs (en particulier l'assainissement) sont
à la charge du "perturbateur". En effet, en vertu
de la Loi
fédérale sur la protection de
l'environnement, c'est l'auteur des dommages
("perturbateur par comportement") qui doit payer en
premier lieu. Mais le détenteur du site
("perturbateur par situation") peut aussi devoir
supporter une partie des frais.
La nouvelle taxe
fédérale sur les déchets ne
réglera qu'une partie de l'ardoise
totale
Or, l'auteur de la contamination peut avoir disparu ou
être insolvable. Les frais devraient alors
être reportés sur le détenteur du
site. Cependant, sous certaines conditions, celui-ci peut
être exempté de tout ou partie des frais.
Dans ce cas, la facture retombe sur le canton, avec une
participation à hauteur de 40% de la
Confédération (cette dernière
prenant également en charge 40% des coûts
d'assainissement des décharges de déchets
ménagers).
Afin de financer ces subventions
fédérales (30 millions de francs par an),
un nouveau texte est entré en vigueur au 1er
janvier 2001: l'Ordonnance relative à la taxe pour
l'assainissement des sites contaminés (OTAS).
Ainsi, notamment, une surtaxe de 20 francs/tonne est
désormais perçue sur les déchets
déposés en décharge bioactive.
Pour en savoir
plus
|
Publications de l'OFEFP relatives aux sites
contaminés
OFEFP, service de documentation, 3003 Berne,
tél. 031/324 02 16
http://www.buwal.ch/publikat/f
Ouvrage général
Paul Lecomte, "Les sites pollués",
Editions Technique & Documentation,
1998.
Techniques d'assainissement
Banque de données IUVA: cet outil
d'information sur les entreprises et les
procédures relatives à
l'assainissement peut être commandé
gratuitement à l'adresse suivante
(version allemande; la version française
sera disponible d'ici le 01.05.2001):
magma AG, Langstrasse 62, 8004 Zürich,
tél. 01/240 44 33, fax 01/240 43 33,
e-mail : magma@zik.ch
Centre national de recherche sur les sites et
sols pollués, 59505 Douai (France),
tél. 0033-3/27 71 26 81
http://www.dnrssp.org
|
Finalement, c'est la succession de nos erreurs et
de nos réussites qui nous conduit à la
sagesse. Puissions-nous tirer la leçon de nos
négligences passées et redécouvrir
le vieil adage "mieux vaut prévenir que
guérir"! Alors peut-être
léguerons-nous à nos enfants un cadre de
vie plus sain.
Michel Bourdenet
BIRD, Prilly