Nº 35 du mois de janvier 2001

Bulletin romand d'information sur la diminution et la gestion des déchets

Sites contaminés : un héritage souvent répudié

Notre société n'a pris conscience que tardivement des risques engendrés par le rejet de produits toxiques dans l'environnement. Le dépôt ou l’enfouissement de déchets sur le lieu même de leur production ont été des pratiques courantes. Ainsi, la Suisse compte aujourd’hui 50'000 sites pollués, dont 3 000 sont à nettoyer. La facture se montera à plus de 5 milliards de francs. Que faire? Et qui va payer?


En Suisse, on estime à 50 000 le nombre de sites pollués: environ 26 000 décharges, 23 000 aires industrielles et 1 000 lieux d'accidents
(source: OFEFP).
 

A mi-chemin entre les villages de Frasses et de Lully, dans la Broye fribourgeoise, le paysage verdoyant ressemble à un décor de carte postale. C'est pourtant là que les ingénieurs planifiant l'autoroute A1 vont tomber sur un "os" de taille: terres fortement souillées par des métaux lourds, cyanures, phénols, solvants… Pas moins de quatre sites contaminés vont être mis au jour, nécessitant de coûteux travaux d'assainissement.

Ce fait divers nous rappelle que nos erreurs du passé finissent tôt ou tard par nous rattraper. Vieilles décharges, dépôts sauvages, rejets industriels, fuites de réservoirs d'hydrocarbures et accidents sont autant de causes de pollution du sous-sol. Une partie des zones ainsi polluées présentent un danger pour la santé humaine ou l'environnement. C'est en particulier le cas lorsqu'elles menacent des nappes phréatiques utilisées pour l'alimentation en eau potable. Parfois même, on peut parler de véritables "bombes à retardement". Exemple célèbre : le cas Love Canal aux Etats-Unis, où les autorités ont dû ordonner en 1979 des évacuations d'urgence, pour cause d'empoisonnement des habitants. En fait, ce site renfermait des déchets toxiques, enfouis depuis quelques décennies.

 


Une facture colossale

'après une estimation de l'Office fédéral de l'environnement, des forêts et du paysage (OFEFP), la Suisse compte 50 000 sites pollués (26 000 décharges, 23 000 aires industrielles et 1 000 lieux d'accidents). Parmi eux, 3 000 environ sont considérés comme des sites contaminés, c'est-à-dire qu'ils présentent un réel danger pour l'environnement. Ils devront donc être assainis ces vingt-cinq prochaines années, pour un montant d'au moins 5 milliards de francs. Paradoxalement, beaucoup de ces "points noirs" ont été créés "légalement", lorsque la protection de l'environnement était encore peu réglementée.

Pourquoi cela coûte-t-il si cher? Tout simplement parce qu'il est difficile de localiser et surtout traiter des polluants disséminés dans le sous-sol. L'histoire de la tasse de café l'illustre bien: il est aisé de mettre un morceau de sucre dans une tasse, mais il est par contre beaucoup plus ardu d'extraire le sucre une fois dissous dans le café.

 


Faire le ménage avec méthode

Devant l'ampleur du problème, le Conseil fédéral promulguait en 1998 l'Ordonnance sur les sites contaminés (OSites). Son but : garantir l'assainissement des sites dangereux. A cette fin, l'OSites définit la procédure de gestion des sites pollués, qui peut se résumer en trois mots: recenser, sélectionner, traiter. Le processus de sélection "étagé" fonctionne comme un système de tamis superposés, dont les mailles vont en se resserrant du haut vers le bas. Chaque tamis correspond à un niveau de diagnostic nécessitant des investigations de plus en plus lourdes et coûteuses.

  
La Suisse veut dresser l'inventaire de ses sites pollués d'ici à fin 2003

Tout d'abord, les cantons doivent élaborer un cadastre public des sites pollués d'ici au 31 décembre 2003. Il s'agit de recenser les emplacements dont la pollution est établie ou très probable, puis de les soumettre à une première évaluation. On pourra ainsi les classer en deux catégories:

• sites sans risque pour l'environnement;

• sites "douteux" (potentiellement contaminés).

 

 


La procédure "échelonnée" de traitement des sites contaminés doit permettre de réduire de manière systématique les risques qu'ils présentent pour l'environnement (source: OFEFP).


 Ces derniers devront alors être examinés de manière plus poussée, afin de décider s'il faut les assainir ou simplement les surveiller (2ème phase de la procédure). Pour cela, des sondages et des prélèvements d'échantillons seront en principe nécessaires.

Enfin, pour les sites qui s'avéreront contaminés, une étude détaillée devra être effectuée pour préparer l'assainissement.

 


Les cantons prennent le taureau par les cornes

Certains cantons alémaniques (Argovie, Soleure, Zurich, ...) n'ont pas attendu l'OSites et ont commencé leurs inventaires il y a une quinzaine d'années déjà. Par ailleurs, le canton de Berne s'est lancé dès 1992.

Le canton de Vaud a entrepris le recensement systématique de ses décharges communales en 1995. Le bilan des investigations menées à ce jour est le suivant : sur 700 décharges, 616 présentent un risque faible, 36 doivent être surveillées, 10 doivent être assainies, 8 nécessitent des travaux lourds d'aménagement (les cas restants sont actuellement examinés). D'autre part, les Vaudois dressent depuis une année l'inventaire de leurs sites industriels pollués.

Mieux gérer les matériaux d'excavation


Un cadre clair depuis 1999

Une directive fédérale sur les matériaux d'excavation est entrée en vigueur en juin 1999. Elle définit enfin des règles claires permettant de déterminer si des matériaux d'excavation doivent être considérés comme pollués ou non. D'autre part, elle offre de nouvelles possibilités pour valoriser les matériaux non pollués.

Une meilleure gestion grâce au Net

Valoriser au mieux et au plus proche les matériaux "sains": tel est justement le but de la bourse aux matériaux d'excavation sur Internet, créée grâce au soutien de l'Etat de Vaud. Elle permet de mettre en relation des offreurs et des demandeurs de matériaux non pollués.

A la clé: de sérieuses économies et un plus pour l'environnement (moins de transports = moins de nuisances).

La publication d'annonces est gratuite sur le canton de Vaud. A voir sur www.excavation.ch.

Pour sa part, le canton de Fribourg a commencé son recensement en 1999. Une analyse systématique des archives de l'Etat et des cartes topographiques a permis de présélectionner plusieurs milliers de sites, qui font maintenant l'objet de recherches complémentaires (notamment auprès des communes). Les cas retenus à l'issue de ces enquêtes feront l'objet d'une analyse de danger, afin de déterminer s'ils sont potentiellement contaminés.

Après un test pilote sur 4 communes en 1998-1999, le canton du Valais s'est lancé dans l'élaboration de son cadastre l'année dernière. Les autorités estiment que 1 000 sites valaisans environ sont potentiellement contaminés.

Enfin, les cantons de Genève, Neuchâtel et Jura vont démarrer leurs inventaires au début de cet été (ces travaux seront confiés à des bureaux spécialisés, comme dans les autres cantons). A noter que les Genevois envisagent de permettre la consultation du futur cadastre sur Internet.

  


Plusieurs méthodes d'assainissement possibles

Il existe trois grandes familles de techniques de dépollution:

• les traitements hors site: les terres polluées sont excavées et évacuées vers un centre de traitement (incinération, décharge contrôlée, lavage, ...);

• les traitements sur site sans excavation: le sol ou les eaux polluées sont traités sur place (biodécontamination, lessivage, ...);

• les traitements sur site avec excavation des terres (compostage, lavage, ...), à l'aide d'équipements mobiles.

Mais dans certains cas, l'assainissement peut se limiter à un confinement, qui consiste à isoler la pollution par des barrières étanches. Signalons que l'OFEFP et l'Association suisse de déconstruction, triage et recyclage (ASR) ont élaboré une base de données informatisée (IUVA), qui regroupe notamment les technologies d'assainissement disponibles sur le marché.

L'établissement du cadastre est financé par les cantons. Par contre, les expertises nécessaires pour déterminer si un site doit être assaini, ainsi que les travaux ultérieurs (en particulier l'assainissement) sont à la charge du "perturbateur". En effet, en vertu de la Loi

fédérale sur la protection de l'environnement, c'est l'auteur des dommages ("perturbateur par comportement") qui doit payer en premier lieu. Mais le détenteur du site ("perturbateur par situation") peut aussi devoir supporter une partie des frais.

 

La nouvelle taxe fédérale sur les déchets ne réglera qu'une partie de l'ardoise totale

Or, l'auteur de la contamination peut avoir disparu ou être insolvable. Les frais devraient alors être reportés sur le détenteur du site. Cependant, sous certaines conditions, celui-ci peut être exempté de tout ou partie des frais. Dans ce cas, la facture retombe sur le canton, avec une participation à hauteur de 40% de la Confédération (cette dernière prenant également en charge 40% des coûts d'assainissement des décharges de déchets ménagers).

Afin de financer ces subventions fédérales (30 millions de francs par an), un nouveau texte est entré en vigueur au 1er janvier 2001: l'Ordonnance relative à la taxe pour l'assainissement des sites contaminés (OTAS). Ainsi, notamment, une surtaxe de 20 francs/tonne est désormais perçue sur les déchets déposés en décharge bioactive.

Pour en savoir plus


Publications de l'OFEFP relatives aux sites contaminés

OFEFP, service de documentation, 3003 Berne, tél. 031/324 02 16

http://www.buwal.ch/publikat/f

Ouvrage général

Paul Lecomte, "Les sites pollués", Editions Technique & Documentation, 1998.

Techniques d'assainissement

Banque de données IUVA: cet outil d'information sur les entreprises et les procédures relatives à l'assainissement peut être commandé gratuitement à l'adresse suivante (version allemande; la version française sera disponible d'ici le 01.05.2001):

magma AG, Langstrasse 62, 8004 Zürich, tél. 01/240 44 33, fax 01/240 43 33,

e-mail : magma@zik.ch

Centre national de recherche sur les sites et sols pollués, 59505 Douai (France),

tél. 0033-3/27 71 26 81

http://www.dnrssp.org

Finalement, c'est la succession de nos erreurs et de nos réussites qui nous conduit à la sagesse. Puissions-nous tirer la leçon de nos négligences passées et redécouvrir le vieil adage "mieux vaut prévenir que guérir"! Alors peut-être léguerons-nous à nos enfants un cadre de vie plus sain.

 

Michel Bourdenet

BIRD, Prilly

 

 

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