Les peintures contiennent par définition des
solvants et, fréquemment, des solvants organiques,
voire halogénés, nuisibles pour
l'environnement et pour la santé. L'Ordonnance
fédérale sur les mouvements de
déchets spéciaux (ODS) impose donc que ces
déchets soient détruits dans des
installations appropriées : cimenteries ou fours
spéciaux à haute température. L'ODS
distingue aussi les peintures contenant des solvants
organiques ou de l'eau. Les restes de peinture
doivent par conséquent être triés
selon ces catégories. Comme on peut l'imaginer, ce
tri et la préparation d'un combustible
homogène coûtent cher. Cridec SA à
Eclépens (VD) facture pour cela environ
2'000.&endash; francs par tonne, tout en constatant que
les coûts réels peuvent être encore
bien supérieurs.
Réutiliser ces restes de peinture plutôt
que de les incinérer pourrait donc conduire
à de substantielles économies.
Les cantons sont
obligés de collecter ces déchets et de
les éliminer à leurs frais
L'Ordonnance fédérale sur le traitement
des déchets (OTD, art. 8) impose aux cantons le
devoir de collecter les déchets spéciaux
produits en petites quantités par les
ménages en créant des postes de collecte ou
en organisant des collectes périodiques.
Si l'OTD ne précise pas le mode de financement
de cette filière, le canton de Vaud a fixé
dans sa loi sur la gestion des déchets (LGD, art.
17) que le service est gratuit pour la population et que
les frais de traitement sont pris en charge par l'Etat.
Cette disposition légale entraîne pour le
canton des frais qui n'ont cessé de croître
depuis dix ans pour atteindre 600'000.&endash; francs
cette année. Or, près de la moitié
de ces coûts doit être imputée aux
restes de peinture.
La destruction des
restes de peinture coûte 250'000.&endash; francs
par an au canton de Vaud
Par son service des eaux, le canton a
décidé en 1998 de faire une étude
sur les possibilités concrètes de
valorisation des restes de peinture et sur les
économies qui pourraient en découler.
Collecte
vaudoise
|
De par la loi, chaque district vaudois
dispose d'un centre de collecte pour les
déchets spéciaux des
ménages (fréquemment dans les
stations d'épuration des eaux). Les
communes acceptent aussi les déchets
spéciaux sur la déchetterie ou
organisent, une ou deux fois par an, une
journée de collecte.
Une étude, basée sur les
données 1997, décrit la situation
pour les restes de peinture :
tonnage : 112 tonnes pour 610'000
habitants
soit environ 0,2 kg/hab./an
ODS 1620 (avec solvants) 25 %
ODS 1630 (sans solvants) 65 %
ODS 1632 (durcies) 10 %*
(* séparées uniquement à
l'UIOM de Lausanne pour incinération
directe)
|
L'analyse de détail d'un lot de 100
échantillons pris au hasard montre que les bidons
de peinture remis dans les centres de collecte sont
encore au 1/3 pleins, qu'il s'agit surtout de dispersion
à l'eau et que la couleur blanche y
prédomine largement.
Aux Etats-Unis, avec l'appui
et les conseils de la National Paint and Coatings
Association, les villes organisent des "Leftover
paint exchange" où se rencontrent remettants
et utilisateurs de restes de peinture. Ce qui ne
trouve pas preneur immédiatement est
utilisé pour recouvrir les murs
"tagués" dans le cadre de programmes de
réinsertion pour
chômeurs.
La moitié environ des peintures sont
sèches et ne contiennent donc plus que de
très petites quantités de solvants. Il est
acceptable d'éliminer ces déchets en usine
d'incinération pour les ordures
ménagères (UIOM) et cela à des
coûts notablement plus faibles que les
déchets en phase liquide. 10 % des peintures sont
douteuses : mélanges suspects, couleur
indéfinissable, etc.
Recyclables
à 45 %, incinérables à 45 %,
solde à détruire selon l'ODS 10 %
Le solde, soit plus de 45 %, pourrait parfaitement
être utilisé. En se bornant aux dispersions,
crépis et vernis blancs, 1/4 des restes de
peinture pourrait connaître une seconde vie. En
triant les peintures en fonction de leur base (vinyl,
alkyde, acryl, ...) et en les regroupant par familles de
couleurs (blanc, gris, noir, rouge, bleu, brun), il
serait possible de tout récupérer.
Autre constatation intéressante : seule une
très faible part des restes de peinture (14 %) a
été vendue par un magasin de do it
yourself, alors que la plus grande masse n'est
achetée que par les professionnels chez les
grossistes ou les fabricants. Il y a donc fort à
parier que certaines entreprises de peinture se
débarrassent ainsi de leurs restes à charge
de la collectivité.
Vernis ou
peinture?
|
Le langage courant distingue peintures, vernis,
laques, dispersions. Mais le principe est
toujours le même (les professionnels
parlent tout simplement de revêtement)
:
un liant (colle, huile de lin,
résines naturelles ou
synthétiques, silicates)
des pigments (minéraux finement
pulvérisés tels que terres de
Sienne, d'ombre ou d'ocre, certains contenant
des métaux lourds, le blanc s'obtenant
généralement avec du dioxyde de
titane non toxique)
des charges minérales (craie,
talk, coalin pour la texture et le pouvoir
garnissant)
un solvant
(térébenthine, solvants organiques
chlorés ou non, eau).
|
Une autre explication serait que les professionnels
abandonnent volontiers chez leurs clients les restes de
peinture "pour faire des retouches". Après
quelques années à la cave, ces peintures
sont rapportées par les privés dans les
centres de collecte.
Domaines
d'application multiples pour les restes de
peinture
Récupérer c'est bien, mais c'est inutile
s'il n'existe pas d'applications pratiques.
A l'instar de ce qui se fait aux USA, les restes de
peinture peuvent être réutilisés tels
quels, par exemple pour des couches de fonds. Les bourses
d'échange organisées dans les villes
américaines intéressent en particulier les
associations de quartier, les troupes de
théâtre, les organisations caritatives et
toutes sortes de groupements dont le pouvoir
économique est faible. Selon la National Paint and
Coatings Association, ce mode de faire permet de
récupérer 25 % des restes de peinture.
On peut aussi imaginer compléter un bidon avec
les restes de plusieurs autres, ou reconditionner ces
restes dans un nouvel emballage. Il faut pour cela
disposer de locaux appropriés, de personnel
compétent et d'un minimum d'installations
techniques.
Potentiel de
réemploi
|
Selon une étude menée par l'Etat
de Vaud sur un échantillon de 100 restes
de peinture collectés à l'UIOM de
Lausanne, la qualité de ces
déchets peut se résumer ainsi
:
volume moyen du bidon 8,5 litres
reste moyen dans un bidon 34 %
vol.
réutilisable 47 % masse
douteuse (élimin. ODS)10 %
masse
sèche (incinér. UIOM) 43
% masse
peintures à l'eau 79 %
masse
couleur blanche 79 % masse
exprimé en part à la
masse des restes de peinture, au moins 60 % des
peintures ne sont vendues qu'à des
professionnels, alors que seulement 14 % des
marques ne s'achètent que dans des
do-it-yourself.
la part des restes valorisables varie
entre 25 % (uniquement peintures blanches) et 50
% environ (regroupement en familles de
couleurs)
coût du tri et du
reconditionnement évalué entre
5.&endash; et 7.&endash; francs par kilo
(couvert par la taxe de prise en charge et le
produit de la revente).
|
Si l'on consent de tels investissements, il est
réaliste d'envisager d'ajuster la couleur et la
fluidité du mélange pour obtenir, par
exemple, un "gris souris" utilisable pour repeindre les
murs en béton d'un parking ou d'un passage sous
voie.
L'Etat pourrait
être le plus gros client d'une
micro-entreprise de recyclage des restes de
peinture
L'étude faite dans le canton de Vaud conclut
à la viabilité économique d'une
telle activité. Celle-ci pourrait créer
deux emplois qualifiés et "sauver" près de
50'000 kilos de peinture par année. Ce faisant, le
canton pourrait économiser plusieurs dizaines de
milliers de francs par an. De plus, l'Etat est un
utilisateur potentiel important et pourrait imposer aux
entrepreneurs l'utilisation de peinture recyclée
dans le cadre des travaux qu'il leur adjuge. Si cette
démarche concernait ne serait-ce que 10 % des
surfaces à peindre (couches de fond, sous-sols,
...), cela garantirait un intéressant
débouché pour 7 tonnes par an selon les
estimations de l'étude.
Environ la moitié des
restes de peinture est utilisable. Sur cette
quantité, 2/3 sont des dispersions blanches. En
principe compatibles entre elles (vinyl pour
l'intérieur, acryl pour l'extérieur), on
peut les mélanger et les utiliser comme couche
de fond.
Il existe au Canada une chaîne de do it
yourself, Rona, qui s'est engagé à
reprendre de ses clients tous les restes de peinture.
Elle les réachemine chez son fournisseur,
Laurentide, qui les transforme en bidons de peinture
neufs sous un label ECO-Vision garantissant une teneur de
50 % de "vieilles" peintures. En 1997, la
société déclare avoir ainsi
recyclé 350'000 kilos de peinture.
Refabriquer des
peintures avec les restes
Ce recyclage high-tech se pratique déjà
en Suisse, toutefois dans des limites très
restreintes. Certains fabricants offrent en effet
à leurs clients professionnels un service
"à façon" de reconditionnement des soldes
après réajustage de la teinte. Le client
s'engage à reprendre son "déchet" et assume
les risques éventuels.
Encore un secteur où le recyclage n'a pas dit
son dernier mot...
François Marthaler
BIRD, Prilly