Nº 34 du mois de novembre 2000

Bulletin romand d'information sur la diminution et la gestion des déchets

Restes de peinture :

Le recyclage s'organise


On peut estimer que la Suisse consomme 200'000 tonnes par an de peinture. Les emballages vides et les feuilles de protection souillées constituent les déchets de cette branche. A proprement parler, les déchets de peinture sont les résidus secs, alors que les restes représentent un solde parfaitement réutilisable. Ces restes de peinture (un peu plus de 1000 tonnes par an ou 0,5 % de la consommation) sont pourtant incinérés à grands frais. En Amérique du nord, on organise des bourses d'échange et certains fabricants utilisent des restes pour créer de nouvelles peintures. Exemples à suivre.


 

Les peintures contiennent par définition des solvants et, fréquemment, des solvants organiques, voire halogénés, nuisibles pour l'environnement et pour la santé. L'Ordonnance fédérale sur les mouvements de déchets spéciaux (ODS) impose donc que ces déchets soient détruits dans des installations appropriées : cimenteries ou fours spéciaux à haute température. L'ODS distingue aussi les peintures contenant des solvants organiques ou de l'eau. Les restes de peinture doivent par conséquent être triés selon ces catégories. Comme on peut l'imaginer, ce tri et la préparation d'un combustible homogène coûtent cher. Cridec SA à Eclépens (VD) facture pour cela environ 2'000.&endash; francs par tonne, tout en constatant que les coûts réels peuvent être encore bien supérieurs.

Réutiliser ces restes de peinture plutôt que de les incinérer pourrait donc conduire à de substantielles économies.

 


Les cantons sont obligés de collecter ces déchets et de les éliminer à leurs frais

L'Ordonnance fédérale sur le traitement des déchets (OTD, art. 8) impose aux cantons le devoir de collecter les déchets spéciaux produits en petites quantités par les ménages en créant des postes de collecte ou en organisant des collectes périodiques.

Si l'OTD ne précise pas le mode de financement de cette filière, le canton de Vaud a fixé dans sa loi sur la gestion des déchets (LGD, art. 17) que le service est gratuit pour la population et que les frais de traitement sont pris en charge par l'Etat. Cette disposition légale entraîne pour le canton des frais qui n'ont cessé de croître depuis dix ans pour atteindre 600'000.&endash; francs cette année. Or, près de la moitié de ces coûts doit être imputée aux restes de peinture.

 


La destruction des restes de peinture coûte 250'000.&endash; francs par an au canton de Vaud

Par son service des eaux, le canton a décidé en 1998 de faire une étude sur les possibilités concrètes de valorisation des restes de peinture et sur les économies qui pourraient en découler.

 

Collecte vaudoise

De par la loi, chaque district vaudois dispose d'un centre de collecte pour les déchets spéciaux des ménages (fréquemment dans les stations d'épuration des eaux). Les communes acceptent aussi les déchets spéciaux sur la déchetterie ou organisent, une ou deux fois par an, une journée de collecte.

Une étude, basée sur les données 1997, décrit la situation pour les restes de peinture :

• tonnage : 112 tonnes pour 610'000 habitants

• soit environ 0,2 kg/hab./an

• ODS 1620 (avec solvants) 25 %

• ODS 1630 (sans solvants) 65 %

• ODS 1632 (durcies) 10 %*

(* séparées uniquement à l'UIOM de Lausanne pour incinération directe)

L'analyse de détail d'un lot de 100 échantillons pris au hasard montre que les bidons de peinture remis dans les centres de collecte sont encore au 1/3 pleins, qu'il s'agit surtout de dispersion à l'eau et que la couleur blanche y prédomine largement.

 


Aux Etats-Unis, avec l'appui et les conseils de la National Paint and Coatings Association, les villes organisent des "Leftover paint exchange" où se rencontrent remettants et utilisateurs de restes de peinture. Ce qui ne trouve pas preneur immédiatement est utilisé pour recouvrir les murs "tagués" dans le cadre de programmes de réinsertion pour chômeurs.


La moitié environ des peintures sont sèches et ne contiennent donc plus que de très petites quantités de solvants. Il est acceptable d'éliminer ces déchets en usine d'incinération pour les ordures ménagères (UIOM) et cela à des coûts notablement plus faibles que les déchets en phase liquide. 10 % des peintures sont douteuses : mélanges suspects, couleur indéfinissable, etc.

 


Recyclables à 45 %, incinérables à 45 %, solde à détruire selon l'ODS 10 %

Le solde, soit plus de 45 %, pourrait parfaitement être utilisé. En se bornant aux dispersions, crépis et vernis blancs, 1/4 des restes de peinture pourrait connaître une seconde vie. En triant les peintures en fonction de leur base (vinyl, alkyde, acryl, ...) et en les regroupant par familles de couleurs (blanc, gris, noir, rouge, bleu, brun), il serait possible de tout récupérer.

Autre constatation intéressante : seule une très faible part des restes de peinture (14 %) a été vendue par un magasin de do it yourself, alors que la plus grande masse n'est achetée que par les professionnels chez les grossistes ou les fabricants. Il y a donc fort à parier que certaines entreprises de peinture se débarrassent ainsi de leurs restes à charge de la collectivité.

 

 

Vernis ou peinture?


Le langage courant distingue peintures, vernis, laques, dispersions. Mais le principe est toujours le même (les professionnels parlent tout simplement de revêtement) :

• un liant (colle, huile de lin, résines naturelles ou synthétiques, silicates)

• des pigments (minéraux finement pulvérisés tels que terres de Sienne, d'ombre ou d'ocre, certains contenant des métaux lourds, le blanc s'obtenant généralement avec du dioxyde de titane non toxique)

• des charges minérales (craie, talk, coalin pour la texture et le pouvoir garnissant)

• un solvant (térébenthine, solvants organiques chlorés ou non, eau).

Une autre explication serait que les professionnels abandonnent volontiers chez leurs clients les restes de peinture "pour faire des retouches". Après quelques années à la cave, ces peintures sont rapportées par les privés dans les centres de collecte.  


Domaines d'application multiples pour les restes de peinture

Récupérer c'est bien, mais c'est inutile s'il n'existe pas d'applications pratiques.

A l'instar de ce qui se fait aux USA, les restes de peinture peuvent être réutilisés tels quels, par exemple pour des couches de fonds. Les bourses d'échange organisées dans les villes américaines intéressent en particulier les associations de quartier, les troupes de théâtre, les organisations caritatives et toutes sortes de groupements dont le pouvoir économique est faible. Selon la National Paint and Coatings Association, ce mode de faire permet de récupérer 25 % des restes de peinture.

On peut aussi imaginer compléter un bidon avec les restes de plusieurs autres, ou reconditionner ces restes dans un nouvel emballage. Il faut pour cela disposer de locaux appropriés, de personnel compétent et d'un minimum d'installations techniques.

 

Potentiel de réemploi


Selon une étude menée par l'Etat de Vaud sur un échantillon de 100 restes de peinture collectés à l'UIOM de Lausanne, la qualité de ces déchets peut se résumer ainsi :

• volume moyen du bidon 8,5 litres

• reste moyen dans un bidon 34 % vol.

• réutilisable 47 % masse

• douteuse (élimin. ODS)10 % masse

• sèche (incinér. UIOM) 43 % masse

• peintures à l'eau 79 % masse

• couleur blanche 79 % masse

• exprimé en part à la masse des restes de peinture, au moins 60 % des peintures ne sont vendues qu'à des professionnels, alors que seulement 14 % des marques ne s'achètent que dans des do-it-yourself.

• la part des restes valorisables varie entre 25 % (uniquement peintures blanches) et 50 % environ (regroupement en familles de couleurs)

• coût du tri et du reconditionnement évalué entre 5.&endash; et 7.&endash; francs par kilo (couvert par la taxe de prise en charge et le produit de la revente).

 

Si l'on consent de tels investissements, il est réaliste d'envisager d'ajuster la couleur et la fluidité du mélange pour obtenir, par exemple, un "gris souris" utilisable pour repeindre les murs en béton d'un parking ou d'un passage sous voie.

 

L'Etat pourrait être le plus gros client d'une micro-entreprise de recyclage des restes de peinture

L'étude faite dans le canton de Vaud conclut à la viabilité économique d'une telle activité. Celle-ci pourrait créer deux emplois qualifiés et "sauver" près de 50'000 kilos de peinture par année. Ce faisant, le canton pourrait économiser plusieurs dizaines de milliers de francs par an. De plus, l'Etat est un utilisateur potentiel important et pourrait imposer aux entrepreneurs l'utilisation de peinture recyclée dans le cadre des travaux qu'il leur adjuge. Si cette démarche concernait ne serait-ce que 10 % des surfaces à peindre (couches de fond, sous-sols, ...), cela garantirait un intéressant débouché pour 7 tonnes par an selon les estimations de l'étude.

 


Environ la moitié des restes de peinture est utilisable. Sur cette quantité, 2/3 sont des dispersions blanches. En principe compatibles entre elles (vinyl pour l'intérieur, acryl pour l'extérieur), on peut les mélanger et les utiliser comme couche de fond.


Il existe au Canada une chaîne de do it yourself, Rona, qui s'est engagé à reprendre de ses clients tous les restes de peinture. Elle les réachemine chez son fournisseur, Laurentide, qui les transforme en bidons de peinture neufs sous un label ECO-Vision garantissant une teneur de 50 % de "vieilles" peintures. En 1997, la société déclare avoir ainsi recyclé 350'000 kilos de peinture.

 


Refabriquer des peintures avec les restes

Ce recyclage high-tech se pratique déjà en Suisse, toutefois dans des limites très restreintes. Certains fabricants offrent en effet à leurs clients professionnels un service "à façon" de reconditionnement des soldes après réajustage de la teinte. Le client s'engage à reprendre son "déchet" et assume les risques éventuels.

Encore un secteur où le recyclage n'a pas dit son dernier mot...

 

François Marthaler

BIRD, Prilly

 

 

Retour au sommaire

 


Copyright BIRD