Des
déchets vieux comme le monde et simplement
biodégradables
Comme chacun l'a appris, nos ancêtres des
cavernes étaient vêtus de peaux de
bête. Une marque qui a résisté
durant quelques centaines de milliers d'années
à la concurrence des poils filés et
tissés (laine de mouton, poils de
chèvres et de chameau). Le recours aux fibres
végétales est probablement aussi vieux
que l'agriculture. Les tissus en lin se sont
perfectionnés en Egypte, tandis que l'usage du
coton se développait en Inde et celui de la
soie en Chine.
Le lin est resté la principale fibre
végétale utilisée en Europe
jusqu'à la fin du XVIIIe siècle.
L'invention des machines à filer, à
tisser et à égrener a permis au coton de
s'imposer. Vers 1900, il couvrait 80% de la demande
mondiale.
Mais il fallu bientôt compter avec
l'apparition des premières fibres
synthétiques produites dès 1885 à
base de cellulose extraite du bois (alors sous
l'appellation de soie artificielle): viscose et
acétate de cellulose.
Fibres
synthétiques résolument
imbattables
La découverte de la première fibre
synthétique par Du Pont de Nemours remonte
à 1920 : le polyamide 6.6, plus connu sous le
nom commercial de Nylon. Il existe aujourd'hui des
milliers de fibres synthétiques issues de la
pétrochimie et que l'on peut principalement
regrouper en trois grandes familles: polyamides,
polyesters et polyacryl.
Parce qu'on peut les teinter dans la masse, les
filer en continu, leur donner toute sorte d'aspect de
surface, les vriller (stretch), les fibres
synthétiques s'imposent partout. En 1997, les
fibres chimiques (cellulosiques et
synthétiques) ont fourni 54% de la production
mondiale de fibres - soit 45 millions de tonnes -,
contre 43% pour le coton et seulement 3% pour la
laine.
Est-ce que les fibres naturelles auraient pu faire
face à l'augmentation vertigineuse de la
demande au cours du siècle? Une usine moderne
qui produit chaque jour 150 tonnes de fibres
polyacryliques prêtes à tisser occupe la
superficie d'un terrain de football. Pour obtenir une
quantité équivalente de laine, il
faudrait élever 12 millions de moutons sur un
pâturage deux fois plus grand que la Suisse!
Autant de
déchets en puissance que toute
l'électronique de loisir et de
bureau
On estime que chaque Suisse achète environ
15 kg d'habits par an, ce qui correspond environ
à:
12 paires de chaussettes (0,6 kg),
14 sous-vêtements (1,4 kg),
8 blouses (1,6 kg),
5 pantalons (2 kg),
2 pull-overs en laine (1,6 kg),
2 pyjamas (0,8 kg),
1 manteau d'hiver (2 kg)
autres (4 kg)
Au total, cela représente quelque 90'000
tonnes, soit autant que les ordinateurs,
photocopieurs, téléviseurs,
chaînes stéréo vendus chaque
année. Mais on n'en récupère
guère qu'un tiers (5 kg par habitant). Il faut
dire que, par discipline ou par gêne, les
Helvètes ne remettent en général
que les habits qu'ils jugent en bon état et
qu'ils prennent soin de laver, voire de repasser.
Une
filière qui rapporte plus lorsqu'elle collecte
peu
Le produit de la vente des vieux habits
représente en moyenne Fr. 1,20/kg et permet
largement à la collecte de s'autofinancer. Le
bénéfice de cette activité
revient en grande partie à des organisations
d'entraide (voir tableau ci-contre). Mais les recettes
nettes proviennent en premier lieu des plus beaux
habits (la "crème") revendus de Fr. 4.- et
jusqu'à Fr. 50.-/kg. Mais le tri en une
multitude de catégories (homme/femme,
été/hiver, type de vêtement, genre
de tissu, couleur, mode, marques!) coûte
très cher. Il est ainsi parfois
préférable de revendre le tout tel quel
pour Fr. 1.- ou Fr. 2.- par kilo. D'autant plus que le
tri au départ laisse près de 50% de
rebuts dont la valorisation en chiffons d'essuyage ou
en effilochage ne rapporte guère plus de 20
centimes par kilo et coûte même le prix de
l'incinération à laquelle sont
destinés 10% de ce tonnage.
En d'autres termes, les organisations de collecte
se contenteraient volontiers de ne
récupérer que les plus beaux habits,
même si cela devait diviser par quatre les
quantités ramassées.
Pourtant, une bonne partie de ces textiles
mériteraient d'être recyclés, car
des filières existent tout même. Les
fibres naturelles, mais aussi tous les tricots, ont
des débouchés de recyclage. Et pour
qu'ils soient rentables, il faut des quantités
industrielles. C'est ainsi que dans la région
de Prato, près de Florence, 40'000 personnes
recyclent des centaines de milliers de tonnes de
textiles sous forme d'effilochés qui peuvent
ensuite être soit filés pour la
fabrication de nouveaux tissus soit utilisés
par l'industrie du non-tissé (dopée par
ses nouvelles applications dans le génie
civil). Il existe donc un potentiel énorme
d'amélioration de la récupération
des textiles usagés. Le temps est
peut-être révolu où seuls les
habits mettables étaient donnés à
la collecte.
Le recyclage des
vieux habits est une longue histoire. Du ramassage
des sacs ou de la vidange des conteneurs
jusqu'à la mise en balle pour l'exportation,
c'est tout un travail de fourmi. En triant plus en
Suisse, Texaid souhaite créer 1000 emplois
nouveaux. Mais avec une valeur marchande moyenne de
Fr. 1'200.- par tonne le pari est
difficile.
Des T-shirts
dans le carton bituminé? Des pull-overs sous la
moquette de l'auto?
Bon nombre de gens croient savoir que les textiles
usagés se laissent recycler dans divers
secteurs industriels. Il est vrai que le carton feutre
destiné à être imbibé de
bitume pour la production de carton bituminé a
été durant des décennies une
filière importante de valorisation.
Malheureusement, les exigences techniques que s'impose
aujourd'hui l'industrie de la construction ne
permettent plus d'étanchéifier des
toitures ou sous-toitures avec ce type de produit. Le
carton bituminé a été presque
totalement remplacé par des
étanchéités en matières
synthétiques ou à base de fibre de
verre, de résines et de bitume. Et il en va de
même avec la fabrication de papiers luxueux dans
lesquels on introduisait un certain pourcentage de
fibres de coton.
En réalité, l'industrie
préférera toujours les déchets
des usines textiles dont les caractéristiques
et la propreté sont nettement
supérieures à celles des textiles
usagés. Et ils ne manquent pas! Car pour
produire 1 kg de T-shirt, l'industrie
génère plus de 0,2 kg (20%) de
déchets de fibres, de fil et de tissu. Ainsi,
le tapis d'isolation phonique que l'on trouve sous la
moquette de la voiture, composition bigarrée de
fils de toutes sortes, ne se compose que de
déchets d'industrie.
Quant aux chiffons d'essuyage (draps, linges et
chemises de coton découpés en pattes
rectangulaires), leur marché ne cesse de se
réduire. En effet, les draps blancs n'existent
presque plus et de toute façon l'industrie leur
préfère les non tissés
cellulosiques jetables.
Pourtant, la valorisation des textiles
usagés fait sens du point de vue de
l'environnement. Le recyclage de 50'000 tonnes de
laine (4% de la production mondiale) permet
d'économiser:
5 millions de mètres cube d'eau
11'750 tonnes de produits chimiques
(colorants et agents divers)
92'500 tonnes de CO2
L'espérance de vie moyenne d'un habits n'est
que de 1,5 an dans les pays industrialisés. Les
fibres dont ils sont composés devraient
pourtant durer bien plus longtemps.
Isolations phoniques et
thermiques doscha Wolle produites en Allemagne
à base de pure laine de mouton. Un produit
peut-être trop luxueux pour être
appliqué dans le bâtiment, mais qui ne
présente aucun risque allergène.
Pourquoi pas à base de lainage de
récupération? Le fabricant a cette
fois la puce à
l'oreille...
Les fripes, un
commerce qui tue les textiles
indigènes?
Certains observateurs du marché critiquent
vertement l'exportation des fripes vers les pays en
développement. Selon eux, cette filière
de recyclage met hors jeu la production
indigène de textiles. Ebranlée par ces
attaques, Texaid a récemment commandé
une étude de terrain. Il en ressort d'une part
que le commerce et la réparation des vieux
habits crée de nombreux emplois qui sont
à mettre en balance et que d'autre part, s'ils
sont destinés aux plus démunis, ils leur
permettent de s'habiller sans que les ventes de
textiles indigènes ne s'en ressentent.
Reste la question de savoir comment les textiles
synthétiques seront éliminés
après avoir été usés
jusqu'à la corde...
François Marthaler
BIRD, Prilly
Pour en
savoir plus
"PLANETE SUISSE
3/94"
Important dossier sur les textiles
élaboré par l'Office
fédéral de l'environnement, des
forêts et du paysage (OFEFP)
3003 Berne, tél. 031/322 93 26
Informations générales
Fiche Déchets et Recyclage No 7 "Textiles",
SIGA/ASS, Fr. 2.-,
tél. 021/624 64 94, fax 021/624 64 71
EURATEX
European Apparel and Textiles Organisation, B-1000
Bruxelles
tél. 0032-2/285 48 84
ÖKO-TEX STANDARD
100
Label écologique européen
décerné par Testex, Schweizer
Textilprüfinstitut
8002 Zurich, tél. 01/201 17
18
Les amis des
habits
La collecte des textiles
génère en Suisse un chiffre d'affaires
de 20 millions de francs. Au fil des ans, le partage
de ce gâteau s'est organisé.
Certainement la plus connue des
organisations de collecte, Texaid
récupère les vieux habits pour le compte
de 6 oeuvres caritatives: la Croix Rouge Suisse, le
Secours suisse d'hiver, l'Oeuvre suisse d'entraide
ouvrière (OSEO), Caritas, l'Oeuvre Kolping
Suisse (OKS) et l'entraide protestante des
églises romandes (EPER).
Solitex, dont l'organisme de
collecte est Tell-Tex, travaille pour diverses autres
organisations d'entraide, comme l'Aide suisse aux
montagnards, l'association suisse des invalides ou la
Fondation village d'enfants Pestalozzi.
La Centrale du travail à
domicile - organisme para-public - s'est
distinguée dans le domaine des vieilles
chaussures (Atelier 93 à St-Sulpice
VD).
Présente uniquement en
Suisse romande, la coopérative Textura
collabore étroitement avec les autres acteurs
du domaine, mais avec comme préoccupation
première la réinsertion des
chômeurs.