Nº 25 du mois de mai 1999

Bulletin romand d'information sur la diminution et la gestion des déchets

Mieux recycler les vieux textiles.

La fibre écolo tarde à venir !

Les collectes de textiles usagés se multiplient partout en Europe. Mais sous l'effet notamment des directives européennes, les marchés à l'exportation se referment, alors que les filières de recyclage traditionnelles du vieux chiffon (essuyage, cardage, cartonnerie) n'ont cessé de perdre des emplois depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Alors, faut-il incinérer la mode? L'utilisation croissante de fibres synthétiques entre en conflit avec le recyclage matière et fait problème lorsque se pose la question du devenir ultime des fripes que l'on exporte en masse vers les pays en développement.


 
Des déchets vieux comme le monde et simplement biodégradables

Comme chacun l'a appris, nos ancêtres des cavernes étaient vêtus de peaux de bête. Une marque qui a résisté durant quelques centaines de milliers d'années à la concurrence des poils filés et tissés (laine de mouton, poils de chèvres et de chameau). Le recours aux fibres végétales est probablement aussi vieux que l'agriculture. Les tissus en lin se sont perfectionnés en Egypte, tandis que l'usage du coton se développait en Inde et celui de la soie en Chine.

Le lin est resté la principale fibre végétale utilisée en Europe jusqu'à la fin du XVIIIe siècle. L'invention des machines à filer, à tisser et à égrener a permis au coton de s'imposer. Vers 1900, il couvrait 80% de la demande mondiale.

Mais il fallu bientôt compter avec l'apparition des premières fibres synthétiques produites dès 1885 à base de cellulose extraite du bois (alors sous l'appellation de soie artificielle): viscose et acétate de cellulose.

 

 Fibres synthétiques résolument imbattables

 

La découverte de la première fibre synthétique par Du Pont de Nemours remonte à 1920 : le polyamide 6.6, plus connu sous le nom commercial de Nylon. Il existe aujourd'hui des milliers de fibres synthétiques issues de la pétrochimie et que l'on peut principalement regrouper en trois grandes familles: polyamides, polyesters et polyacryl.

Parce qu'on peut les teinter dans la masse, les filer en continu, leur donner toute sorte d'aspect de surface, les vriller (stretch), les fibres synthétiques s'imposent partout. En 1997, les fibres chimiques (cellulosiques et synthétiques) ont fourni 54% de la production mondiale de fibres - soit 45 millions de tonnes -, contre 43% pour le coton et seulement 3% pour la laine.

Est-ce que les fibres naturelles auraient pu faire face à l'augmentation vertigineuse de la demande au cours du siècle? Une usine moderne qui produit chaque jour 150 tonnes de fibres polyacryliques prêtes à tisser occupe la superficie d'un terrain de football. Pour obtenir une quantité équivalente de laine, il faudrait élever 12 millions de moutons sur un pâturage deux fois plus grand que la Suisse!

Autant de déchets en puissance que toute l'électronique de loisir et de bureau

On estime que chaque Suisse achète environ 15 kg d'habits par an, ce qui correspond environ à:

• 12 paires de chaussettes (0,6 kg),

• 14 sous-vêtements (1,4 kg),

• 8 blouses (1,6 kg),

• 5 pantalons (2 kg),

• 2 pull-overs en laine (1,6 kg),

• 2 pyjamas (0,8 kg),

• 1 manteau d'hiver (2 kg)

• autres (4 kg)

Au total, cela représente quelque 90'000 tonnes, soit autant que les ordinateurs, photocopieurs, téléviseurs, chaînes stéréo vendus chaque année. Mais on n'en récupère guère qu'un tiers (5 kg par habitant). Il faut dire que, par discipline ou par gêne, les Helvètes ne remettent en général que les habits qu'ils jugent en bon état et qu'ils prennent soin de laver, voire de repasser.

 Une filière qui rapporte plus lorsqu'elle collecte peu

Le produit de la vente des vieux habits représente en moyenne Fr. 1,20/kg et permet largement à la collecte de s'autofinancer. Le bénéfice de cette activité revient en grande partie à des organisations d'entraide (voir tableau ci-contre). Mais les recettes nettes proviennent en premier lieu des plus beaux habits (la "crème") revendus de Fr. 4.- et jusqu'à Fr. 50.-/kg. Mais le tri en une multitude de catégories (homme/femme, été/hiver, type de vêtement, genre de tissu, couleur, mode, marques!) coûte très cher. Il est ainsi parfois préférable de revendre le tout tel quel pour Fr. 1.- ou Fr. 2.- par kilo. D'autant plus que le tri au départ laisse près de 50% de rebuts dont la valorisation en chiffons d'essuyage ou en effilochage ne rapporte guère plus de 20 centimes par kilo et coûte même le prix de l'incinération à laquelle sont destinés 10% de ce tonnage.

En d'autres termes, les organisations de collecte se contenteraient volontiers de ne récupérer que les plus beaux habits, même si cela devait diviser par quatre les quantités ramassées.

Pourtant, une bonne partie de ces textiles mériteraient d'être recyclés, car des filières existent tout même. Les fibres naturelles, mais aussi tous les tricots, ont des débouchés de recyclage. Et pour qu'ils soient rentables, il faut des quantités industrielles. C'est ainsi que dans la région de Prato, près de Florence, 40'000 personnes recyclent des centaines de milliers de tonnes de textiles sous forme d'effilochés qui peuvent ensuite être soit filés pour la fabrication de nouveaux tissus soit utilisés par l'industrie du non-tissé (dopée par ses nouvelles applications dans le génie civil). Il existe donc un potentiel énorme d'amélioration de la récupération des textiles usagés. Le temps est peut-être révolu où seuls les habits mettables étaient donnés à la collecte.

 


Le recyclage des vieux habits est une longue histoire. Du ramassage des sacs ou de la vidange des conteneurs jusqu'à la mise en balle pour l'exportation, c'est tout un travail de fourmi. En triant plus en Suisse, Texaid souhaite créer 1000 emplois nouveaux. Mais avec une valeur marchande moyenne de Fr. 1'200.- par tonne le pari est difficile.


Des T-shirts dans le carton bituminé? Des pull-overs sous la moquette de l'auto?

Bon nombre de gens croient savoir que les textiles usagés se laissent recycler dans divers secteurs industriels. Il est vrai que le carton feutre destiné à être imbibé de bitume pour la production de carton bituminé a été durant des décennies une filière importante de valorisation. Malheureusement, les exigences techniques que s'impose aujourd'hui l'industrie de la construction ne permettent plus d'étanchéifier des toitures ou sous-toitures avec ce type de produit. Le carton bituminé a été presque totalement remplacé par des étanchéités en matières synthétiques ou à base de fibre de verre, de résines et de bitume. Et il en va de même avec la fabrication de papiers luxueux dans lesquels on introduisait un certain pourcentage de fibres de coton.

En réalité, l'industrie préférera toujours les déchets des usines textiles dont les caractéristiques et la propreté sont nettement supérieures à celles des textiles usagés. Et ils ne manquent pas! Car pour produire 1 kg de T-shirt, l'industrie génère plus de 0,2 kg (20%) de déchets de fibres, de fil et de tissu. Ainsi, le tapis d'isolation phonique que l'on trouve sous la moquette de la voiture, composition bigarrée de fils de toutes sortes, ne se compose que de déchets d'industrie.

Quant aux chiffons d'essuyage (draps, linges et chemises de coton découpés en pattes rectangulaires), leur marché ne cesse de se réduire. En effet, les draps blancs n'existent presque plus et de toute façon l'industrie leur préfère les non tissés cellulosiques jetables.

Pourtant, la valorisation des textiles usagés fait sens du point de vue de l'environnement. Le recyclage de 50'000 tonnes de laine (4% de la production mondiale) permet d'économiser:

• 5 millions de mètres cube d'eau

• 11'750 tonnes de produits chimiques (colorants et agents divers)

• 92'500 tonnes de CO2

L'espérance de vie moyenne d'un habits n'est que de 1,5 an dans les pays industrialisés. Les fibres dont ils sont composés devraient pourtant durer bien plus longtemps.

 

Isolations phoniques et thermiques doscha Wolle produites en Allemagne à base de pure laine de mouton. Un produit peut-être trop luxueux pour être appliqué dans le bâtiment, mais qui ne présente aucun risque allergène. Pourquoi pas à base de lainage de récupération? Le fabricant a cette fois la puce à l'oreille...

 


Les fripes, un commerce qui tue les textiles indigènes?

Certains observateurs du marché critiquent vertement l'exportation des fripes vers les pays en développement. Selon eux, cette filière de recyclage met hors jeu la production indigène de textiles. Ebranlée par ces attaques, Texaid a récemment commandé une étude de terrain. Il en ressort d'une part que le commerce et la réparation des vieux habits crée de nombreux emplois qui sont à mettre en balance et que d'autre part, s'ils sont destinés aux plus démunis, ils leur permettent de s'habiller sans que les ventes de textiles indigènes ne s'en ressentent.

Reste la question de savoir comment les textiles synthétiques seront éliminés après avoir été usés jusqu'à la corde...

 

François Marthaler

BIRD, Prilly


Pour en savoir plus

"PLANETE SUISSE 3/94"

Important dossier sur les textiles élaboré par l'Office fédéral de l'environnement, des forêts et du paysage (OFEFP)

3003 Berne, tél. 031/322 93 26

Informations générales

Fiche Déchets et Recyclage No 7 "Textiles", SIGA/ASS, Fr. 2.-,

tél. 021/624 64 94, fax 021/624 64 71

EURATEX

European Apparel and Textiles Organisation, B-1000 Bruxelles

tél. 0032-2/285 48 84

ÖKO-TEX STANDARD 100

Label écologique européen décerné par Testex, Schweizer Textilprüfinstitut

8002 Zurich, tél. 01/201 17 18


Les amis des habits

La collecte des textiles génère en Suisse un chiffre d'affaires de 20 millions de francs. Au fil des ans, le partage de ce gâteau s'est organisé.

Certainement la plus connue des organisations de collecte, Texaid récupère les vieux habits pour le compte de 6 oeuvres caritatives: la Croix Rouge Suisse, le Secours suisse d'hiver, l'Oeuvre suisse d'entraide ouvrière (OSEO), Caritas, l'Oeuvre Kolping Suisse (OKS) et l'entraide protestante des églises romandes (EPER).

Solitex, dont l'organisme de collecte est Tell-Tex, travaille pour diverses autres organisations d'entraide, comme l'Aide suisse aux montagnards, l'association suisse des invalides ou la Fondation village d'enfants Pestalozzi.

La Centrale du travail à domicile - organisme para-public - s'est distinguée dans le domaine des vieilles chaussures (Atelier 93 à St-Sulpice VD).

Présente uniquement en Suisse romande, la coopérative Textura collabore étroitement avec les autres acteurs du domaine, mais avec comme préoccupation première la réinsertion des chômeurs.

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